"Attention à ne pas faire de la santé la valeur suprême de notre existence"
André Comte-Sponville : "Il fallait évidemment empêcher que nos services de réanimation soient totalement débordés. Mais attention de ne pas faire de la médecine ou de la santé, les valeurs suprêmes, les réponses à toutes les questions. Aujourd'hui, sur les écrans de télévision, on voit à peu près vingt médecins pour un économiste.
C'est une crise sanitaire, ça n'est pas la fin du monde.
Ce n'est pas
une raison pour oublier toutes les autres dimensions de l'existence humaine.
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La théorie du "pan-médicalisme"
André
Comte-Sponville : "C'est une société, une civilisation qui
demande tout à la médecine. En effet, la tendance existe depuis déjà longtemps
à faire de la santé la valeur suprême et non plus de la liberté, de la
justice, de l'amour qui sont pour moi les vraies valeurs suprêmes.
L'exemple
que je donne souvent c'est une boutade de Voltaire qui date du XVIIIe siècle,
Voltaire écrivait joliment :
J'ai décidé
d'être heureux parce que c'est bon pour la santé.
Eh bien, le
jour où le bonheur n'est plus qu'un moyen au service de cette fin suprême que
serait la santé, on assiste à un renversement complet par rapport à au moins
vingt-cinq siècles de civilisation où l'on considérait, à l'inverse, que la
santé n'était qu'un moyen, alors certes particulièrement précieux, mais un
moyen pour atteindre ce but suprême qu'est le bonheur.
Attention de
ne pas faire de la santé la valeur suprême. Attention de ne pas demander à
la médecine de résoudre tous nos problèmes. On a raison, bien sûr, de
saluer le formidable travail de nos soignants dans les hôpitaux. Mais ce n'est
pas une raison pour demander à la médecine de tenir lieu de politique et de
morale, de spiritualité, de civilisation.
Attention de
ne pas faire de la santé l'essentiel. Un de mes amis me disait au moment du
sida : "Ne pas attraper le sida, ce n'est pas un but suffisant
dans l'existence". Il avait raison. Eh bien, aujourd'hui, je serais
tenté de dire : "Ne pas attraper le Covid-19 n'est pas un but
suffisant dans l'existence".
Comment
essayer de contrebalancer les inégalités après le confinement ?
André
Comte-Sponville : "Comme hier, en se battant pour la justice,
autrement dit en faisant de la politique.
Personne ne
sait si l'épidémie ne va pas revenir tous les ans auquel cas je doute qu'on ferme
toutes nos entreprises pendant trois mois chaque année.
Arrêtons de
rêver que tout va être différent, comme si ça allait être une nouvelle
humanité.
Depuis
200 000 ans, les humains sont partagés entre égoïsme et altruisme.
Pourquoi voulez-vous que les épidémies changent l'humanité ? Croyez-vous
qu'après la pandémie, le problème du chômage ne se posera plus ? Que
l'argent va devenir tout d'un coup disponible indéfiniment ? Cent
milliards d'euros, disait le Ministre des Finances mais il le dit lui-même,
"c'est plus de dettes pour soigner plus de gens, pour sauver plus de
vie". Très bien. Mais les vies qu'on sauve, ce sont essentiellement des
vies de gens qui ont plus de 65 ans. Nos dettes, ce sont nos enfants qui vont
les payer.
Le
Président, pour lequel j'ai beaucoup de respect, disait "la priorité des
priorités est de protéger les plus faibles". Il avait raison, comme propos
circonstanciel pendant une épidémie. Les plus faibles, en l'occurrence, ce sont
les plus vieux, les septuagénaires, les octogénaires.
Ma priorité
des priorités, ce sont les enfants et les jeunes en général.
Et je me
demande ce que c'est que cette société qui est en train de faire de ses vieux
la priorité des priorités. Bien sûr que la dépendance est un problème majeur,
mais nos écoles, nos banlieues, le chômage des jeunes, sont des problèmes,
à mon avis encore plus grave que le coronavirus, de même que le
réchauffement climatique, la planète que nous allons laisser à nos
enfants.
Le
réchauffement climatique fera beaucoup plus de morts que n'en fera l'épidémie
du Covid-19.
Ça n'est pas
pour condamner le confinement, que je respecte tout à fait rigoureusement. Mais
c'est pour dire qu'il n'y a pas que le Covid-19 et qu'il y a dans la vie et
dans le monde beaucoup plus grave que le Covid-19".
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